"Mon cher cimetière"
Mes promenades dans mon cher cimetière
“Oh, tu as bien grandi, ma petite”, nous disaient les anciens du village. Puis la balade reprenait, et nos pas nous menaient à coup sûr jusqu’au cimetière. Mamie nous a appris le respect des personnes qui ne sont plus là ; elle nous demandait de l’aider à arranger les fleurs, à arracher les mauvaises herbes, à replacer une croix qui se couchait, à en amener une à papi Louis pour qu’il la répare dans sa cave qui sentait bon les vieux outils.
Je me souviens que mamie les connaissait toutes par cœur ; elle nous contait leurs histoires, nous disait des noms que nous ne connaissions pas mais qui nous devenaient familiers. Elle nous parlait souvent de son amie Juliette, morte prématurément d’une maladie pulmonaire, un des grands chagrins de sa vie. Elle nous montrait aussi les tombes très anciennes du cimetière d’Arnac. On passait toujours près de ces trois petites croix blanches qui m’impressionnaient à cause des grands cyprès. “Vous voyez ici, ce sont des enfants d’Arnac. La toute seule, c’est ma sœur, qui est morte à la naissance.” Et je regardais, sans trop comprendre cette petite croix. Mon âme d’enfant était intriguée et un peu apeurée devant ces deux morceaux de bois si fragiles. Puis on se dirigeait vers la tombe aux petits oiseaux en fonte ; je m’amusais à leur donner des noms, à m’imaginer qu’à la nuit tombée, ils s’envolaient dans le ciel pour se reposer au petit matin. La pierre était tellement usée que, pour lire les inscriptions, il fallait attendre le soleil rasant de midi, et comme par magie, la stèle redevenait lisible.
Après la mort de mamie, j’ai continué mes promenades dans mon cher cimetière, dans lequel des noms de plus en plus familiers habitaient désormais. La voix de ma grand-mère me suivait, me guidait dans ces allées sauvages, entêtée de souvenirs. Je savais, en lisant les noms de mes ancêtres, toi qui lis ce message, tu es concerné, car eux aussi ont payé leur tribut afin d’être nommés, tous ces ancêtres qui pensaient avoir cela pour l’éternité… d’être en paix là où ils ont décidé de se trouver, et d’y rester. Alors, en tant qu’enfant d’Arnac, amoureuse de mon patrimoine et de mon village, je veux pouvoir conter les histoires de ma mamie à mes propres enfants. N’enlevez pas cette partie de l’Histoire, ne détruisez pas ces monuments, ne déplacez pas mes morts. Deutéronome 19:14 : « Tu ne déplaceras point la borne de ton prochain, mise en place par les ancêtres dans l’héritage que tu recevras dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne pour en prendre possession. »